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XI.

Les deux Amis.


Deux vrais amis vivoient au Monomotapa :
L’un ne possedoit rien qui n’appartinſt à l’autre :
Les amis de ce païs-là
Valent bien dit-on ceux du noſtre.

Une nuit que chacun s’occupoit au ſommeil,
Et mettoit à profit l’abſence du Soleil,
Un de nos deux amis ſort du lit en alarme :
Il court chez ſon intime, éveille les valets :
Morphée avoit touché le ſeüil de ce palais.
L’amy couché s’eſtonne, il prend ſa bourſe, il s’arme ;
Vient trouver l’autre, & dit ; Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paroiſſiez homme
A mieux uſer du temps deſtiné pour le ſomme :
N’auriez-vous point perdu tout voſtre argent au jeu ?
En voicy : s’il vous eſt venu quelque querelle,

J’ay mon épée, allons : Vous ennuyez-vous point
De coucher toûjours ſeul ? une eſclave aſſez belle
Eſtoit à mes coſtez, voulez-vous qu’on l’appelle ?
Non, dit l’amy, ce n’eſt ny l’un ny l’autre point :
Je vous rend grace de ce zele.
Vous m’eſtes en dormant un peu triſte apparu ;
J’ay craint qu’il ne fuſt vray, je ſuis viſte accouru.
Ce maudit ſonge en est la cauſe.
Qui d’eux aimoit le mieux, que t’en ſemble, Lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu’on la propoſe.
Qu’un amy veritable eſt une douce choſe.
Il cherche vos beſoins au fond de voſtre cœur ;

Il vous épargne la pudeur
De les luy découvrir vous-meſme.
Un songe, un rien, tout luy fait peur
Quand il s’agit de ce qu’il aime.